J’ai découvert les Pixies fin 1997 lorsque j’ai acheté leur 1er best of : «Death to the Pixies» accompagné d’un live.
Quel claque après l’écoute de celui-ci, le son des Pixies était
vraiment quelque chose qui m’a marqué à cet époque, comme l’avait été
Nirvana auparavant et l’a été Jeff Buckley par la suite.
C’est un peu plus tard que j’ai appris que Franck Black (ex Black
Francis des Pixies) été l’auteur de 2 chansons que j’avais adorés
durant mon adolescence : «Headache» et «You Ain't Me» et que la bassiste Kim Deal était la chanteuse des Breeders et du génial «Cannoball».Ce
groupe est et restera pour moi une référence, toute personne aimant le
rock devrai posséder les albums des Pixes. Voici l’histoire des Pixies.
Charles Michael Kitridge Thompson IV et Joey Santiago se rencontrent
en fac d'économie, à Armherst, en 1984. Les études les barbent. Comme
tout le monde, ils passent leur temps à jouer de la guitare, écouter
des vieux disques et fumer des joints. En seconde année, Charles
Kitridge part à Porto Rico pour un voyage d'échange culturel, s'emmerde
comme un rat mort, et le 7 Mai 1985, après avoir hésité à se casser en
Nouvelle-Zélande voir la comète de Halley, décide de créer un groupe de
rock'n'roll. Il se rend à Boston, retrouve Joey Santiago et le tanne
pour qu'il laisse tomber la fac et monte le groupe avec lui en
prétextant qu'il a manqué l'un des événements astrologiques principaux
du siècle pour ça… Pour avoir la paix, Joey Santiago accepte. Ils
chopent un petit boulot et égrènent les bars pour comprendre ce que
« faire un groupe de rock » veut dire. Ils chronomètrent les concerts
et cherchent un nom. A la Dada, Santiago ouvre un dictionnaire, et,
comme par hasard, c'est sur Pixies qu'il tombe : les lutins que
Coleridge avait célébré un siècle plus tôt dans une ode éblouissante.
Charles Kitridge se fait appeler Black Francis et Joey Santiago et lui
passent une petite annonce dans la presse : « Groupe cherche bassiste. Influences : Hüsker Dû et Peter, Paul & Mary. ».
Une certaine madame Murphy se présente à eux, sans basse, et demande
qu'on lui prête 50 bucks pour que sa sœur jumelle lui en expédie une de
Dayton. Elle parle aussi d'un ingénieur en électricité qu'elle a
rencontré à son mariage et qui a fait des percussions dans la fanfare
de son école. Hop : voilà Kim Deal et David Lovering.
81 chansons plus tard, Black Francis téléphone à Joey Santiago pour
lui annoncer que les Pixies sont morts et qu'il s'appelle maintenant
Frank Black : « Je n'ai pas réalisé tout de suite. Je suis retourné
dans le jardin jouer au Base-Ball avec mon neveu. Je n'ai pris la
nouvelle de plein fouet qu'un peu plus tard. C'était un peu paniquant.
Je devais affronter le futur avec une soudaineté a laquelle je ne
m'attendais plus. Mais le soulagement a été a la hauteur de la douleur
que j'ai d'abord ressentie. L'atmosphère n'était plus très bonne, très
sereine. Il fallait passer a autre chose. » C'est fini.
C'est fini mais c'est comme ça que ça commence. A vrai dire, les
Pixies ne sont jamais partis. Les spectres vifs de Francis (pardon,
Frank !), Joey, Kim et David nous ont bien aidé à ne pas nous
effondrer, nous autres qui avons quitté l'adolescence au moment même où
ils mettaient le feu à leur art, laissant Kurt Cobain, lui,
mettre le feu à son destin. Il y a eu une rémanence discontinue mais
inlassable des Pixies depuis leur mort officielle. Les Pixies sont
morts pour littéralement obséder tout le monde pendant plus de dix
ans : de Nirvana (Cobain voulait d'abord faire un groupe qui ne
jouerait que des reprises des Pixies) à Radiohead, totalement
impensables sans eux. Sans parler de leurs ancêtres, décomposés bien
naturellement par l'énergie inouïe, les fulgurances de flammèches
fulminantes de ces quatre czars de la pop nerveuse : Bono qui leur
demandera de venir jouer avec lui, Robert Smith d'habitude peu
impressionnable, David Lynch qui n'a pas osé utiliser Ana dans Lost Highway
et même et surtout David Bowie qui n'en peut plus jusqu'à aujourd'hui
de se fendre d'hommages à ce « groupe qu'il aimait beaucoup » (on le
comprend)… Le générique de fin de Fight Club (en 2000) de David Fincher, avec le superbe «Where is my mind ?»,
n'a été qu'une manière de signaler leur signature indélébile sur
l'époque que nous avons expérimenté et expérimentons encore. Pour
simplifier, on dira que l'esprit des Pixies aura surfé sur les années 90 comme celui des Beatles aura survolé les années 60, celui de Hendrix défié les années 70 et celui de AC/DC hanté
les années 80. Les Pixies se seront auto-détruits dès 1991, mais leur
souffle de liberté et de joie traversera tous les grands groupes des
dix années suivantes. Et même les plus tristes. Et même les moins bons.
Les Pixies ont eu raison de ne pas prendre les hommages qu'on leur a
rendus au sérieux, et de rejeter toutes les identifications comme les
perches tendues. Ils ont surtout eu raison d'arrêter presque plus vite
qu'ils n'ont commencé. Ils savaient que la seule chose qui comptait,
c'était de tout dire, très vite, et de le balancer comme une fusée pour
les siècles de siècles. Les Pixies ne sont pas sentimentaux. Ils
détestent s'épancher. Ils ne sont pas naïfs : ils sont toujours
beaucoup trop immatures pour ça. Les Pixies construisent des rengaines
de teen-agers qui se prennent pour des petites filles et mangent des tacos comme si c'était de la manne. Black Francis a compris que ses origines religieuses - pentecôtistes - lui avaient probablement détruits la tête et qu'il fallait impérativement en faire quelque chose.
Déjà, une chanson des Pixies est toujours plus courte que celle d'un
autre groupe. Black Francis chante comme s'il venait de passer
vingt-trois heures dans un train bondé. Les solos de guitare sont
microscopiques. Joey Santiago doit aller droit au but, et plus vite que
ça. En trois phrases, Black Francis sort de ses gonds et il faut bien
la régularité métronomique parfaite de Kim Deal et de David Lovering
pour que tout ne s'épuise en un seul hurlement d'extase… Un morceau
doit être net et brutal, sautillant et dévastateur, joyeux (joyeux
surtout) et modeste (très, très modeste - on est jamais trop modeste).
L'étrangeté des paroles donne surtout l'impression automatique et
enfantine (comme les comptines, qui s'établissent par oublis réguliers
du sens et remplacement par ressemblances partielles) de quelqu'un qui
a oublié les paroles de ses propres chansons au moment où ils les écrivait.
Il faut insister sur l'aspect sonore de l'écriture des chansons des
Pixies. « Le son des mots » est la matière de Black Francis. Presque
intraduisibles sensiblement, les chansons des Pixies semblent être les
retranscriptions homophoniques d'une autre chanson disparue.
Black Francis désintègrent ses propres chansons jusqu'à obtenir un
tissu narratif impersonnel, mythique, presque malade.
Aujourd'hui, où selon l'adage très probable, nous sommes tous
américains, c'est-à-dire schizophrènes, nous devons comprendre avec les
Pixies qu'il y a deux manières d'être américains : être des héros ou
des freaks. Certains ont été ou sont les deux à la fois.
D'autres, privés de leur jumeau à la naissance, ont été simultanément
deux schizophrènes (Elvis Presley, Philip K. Dick). A travers les voix
conjuguées de Black Francis (à l'avant) et Kim Deal (à l'arrière), les
Pixies donnent l'impression d'un chanteur double-schizophrène poursuivi
par le fantôme de sa sœur jumelle morte à sa naissance et qui aurait
réussi à se réincarner dans une nouvelle jeune femme. C'est miraculeux
que deux personnes qui semblent s'être si peu aimés (Black, Deal) aient
produit ensemble un double-chant aussi profondément poétique. La voix
de Kim Deal (une des plus belles de toute l'histoire de la musique
populaire, troublante, aigre-douce, heureuse autant qu'un spectre peut
l'être) donne tout à fait l'impression d’être adapté à l'univers du
rock teen-ager. Même seule, en leader des Breeders avec notamment le tube « Cannoball »
ou des Amps ou chantant en duo dans This Mortal Coil, elle continue à
accompagner le frère qui l'a perdue. Elle ne parle jamais de sa propre
initiative mais revient toujours pour répondre à quelqu'un. De même,
Black Francis, seul, ou avec les Catholics, ne se remet pas d'avoir
perdu la voix qui était revenue d'entre les morts pour lui répondre.
Comme Orphée ou un personnage d'histoire extraordinaire d'Edgar Allan
Poe, il l'a deux fois perdue (et c'est ce qui fait la si grande
tristesse, l'impression d'esseulement insupportable des innombrables
chansons - mêmes joyeuses - de Black Francis devenu Frank Black après les Pixies).
Si ils évoquent autant de figures légendaires simultanées, croisées
et brouillées, c'est que les Pixies n'ont à proprement parler aucune histoire
et défient toute interprétation possible - ou plus, encouragent à la
manière des chansons des Beatles et des films de David Lynch (les deux
pilonnes entre lesquels leur avion oscille - comme l'indique
suffisamment leur effrayant Live at the B.B.C., pris en sandwich entre Wild Honey Pie et In Heaven)
une interprétation infinie, singulière au possible, sans assignation
possible. « Il y a tout de même eu les Beatles, à la base »… On connaît
le parti pris anti-intellectualiste de Black Francis. Il recoupe
cependant une idée complexe : la pop culture serait, non analytique et
adéquate dans sa relation à la culture, mais synthétique et mutante.
Black Francis s'avoue influencé par beaucoup de choses : Iggy Pop,
Samuel Beckett, Jacques Tati, Captain Beefheart, Rainer Werner
Fassbinder, les Ramones… Mais cette influence, à la différence dont les
influences sont ingérées par un groupe auto-réflexif comme Sonic Youth,
ne donne pas lieu à une analyse de ces référents, mais par une
rencontre impulsive, une contamination burlesque et sérieuse. C'est une
rencontre qui s'établit très rapidement avec des éléments culturels,
mais qui ne donne pas lieu à une interprétation à volonté d'univocité.
En gros, ils ingèrent. Les Pixies sont au rock ce que Charlie
Parker est au jazz : aucune question, aucune réponse, juste une trombe
dévastatrice, une douche froide et électrique, sur chaque sujet
important : les extra-terrestres, les femmes fatales, les animaux, etc.
Qui s'intéresse vraiment aux interviews des musiciens pop ? Il
y a des choses merveilleuses dans les interviews des Pixies, dans
n'importe quelle interview de n'importe quel ex-Pixies. Mais c'est
souvent si merveilleux qu'on oublie que c'est aussi très intelligent :
quand Black Francis dit par exemple qu'il est impossible de
sortir un mauvais disque si l'on aime vraiment la musique (ce qui, par
extension, en dit long sur l'amour de la musique de beaucoup de gens).
Que le problème de la drogue dans le rock, c'est surtout d'arriver à en
tirer un matériel de chanson qui ne soit pas un tissu de clichés.
Enfin, surtout, cette remarque parfaite : « Je crois que si des gens
disent de nous que nous sommes importants c'est simplement parce que
nous ne sommes pas phénoménalement barbants ».
Les Pixies avaient des corps très improbables : un obèse névrotique
et comique qui hurle plus juste que quiconque, un guitariste chicano ringard et sobre, un batteur bien straight
et une bassiste-grande-fillette, alcoolique et bagarreuse, avec un
timbre à faire fondre les vautours comme du caramel au chocolat. Ils
étaient tous outrageusement mal habillés. Et en cinq ans (1987-1992),
c'est-à-dire quatre albums et une poignée d'inédits, ce quatuor intense
aura simultanément donné naissance aux années 90 dans une grande vague
mutilatrice et donné le fin mot de cette affaire en balançant leur monkey au plus profond du ciel… Le ridicule de l'esprit collège,
la solitude peuplée d'extraterrestres et d'animaux, la schizophrénie
comme couverture sociale, le psychédélisme théologico-politique, et le
désert surtout, le grand désert qui s'étend sans cesse, tout ça c'est
dans leurs chansons, leurs 81 chansons. Les Pixies sont des décharges
ininterrompues d'enfance, violente et électrique. Un art de l'enfance :
voilà ce que devrait toujours être la pop music. Car l'enfance n'est
pas donnée à tout le monde : il faut, à chaque naissance, lui
réinventer un corps adéquat. Les artistes inventent une enfance à leur
public. Une nouvelle enfance à ajouter à sa collection, qui ne sera
jamais assez grande, d'âges éprouvés simultanément, à tout âge, dans
des corps aussi nombreux que possibles. Il est temps que les comptines
saturées et les rengaines hurlées à la lune des Pixies reviennent dans
nos oreilles plus violemment et plus joyeusement encore. Les Pixies ne
sont pas les années 90 : ils sont beaucoup mieux. Puisqu'ils sont les
Pixies.
Discographie :
Surfer Rosa / Come on Pilgrim (1988)
Doolittle (1989)
Bossanova (1990)
Trompe Le Monde (1991)
Pixies at the BBC (1998)
Complete B-Sides (2001)
Il ne faut jamais dire jamais : la route du punk-rock 90's est pavée
des meilleures reformations. Franck Black s'était pourtant promis de ne
plus faire tourner le lead band des années 90 et avait tenu mordicus
durant onze ans. Après une pléthore d'albums solo, les Pixies
reprennent du service au printemps 2004 : Franck Black et Kim Deal
l'ont annoncé d'un commun accord, en se gardant de cacher la motivation
essentielle de ce come back : le besoin de cash, après la période de
vaches maigres de leurs derniers projets solo. Outre la sortie d'un DVD
et d'un album de maquettes réalisées avant la naissance des Pixies,
plusieurs dates live ont eu lieu en 2004 et 2005.
Mon TOP 10 des PIXIES (très dur à sélectionner) :
Caribou
Debaser
Dig for fire
Gigantic
Here comes your man
Monkey gone to heven
Planete of sound
Tame
U-Mass
Where is my mind ?
ARNAUD MOUILLARD
J’ai découvert les Pixies fin 1997 lorsque j’ai acheté leur 1er best of : «Death to the Pixies» accompagné d’un live.
Quel claque après l’écoute de celui-ci, le son des Pixies était
vraiment quelque chose qui m’a marqué à cet époque, comme l’avait été
Nirvana auparavant et l’a été Jeff Buckley par la suite.
C’est un peu plus tard que j’ai appris que Franck Black (ex Black
Francis des Pixies) été l’auteur de 2 chansons que j’avais adorés
durant mon adolescence : «Headache» et «You Ain't Me» et que la bassiste Kim Deal était la chanteuse des Breeders et du génial «Cannoball».Ce
groupe est et restera pour moi une référence, toute personne aimant le
rock devrai posséder les albums des Pixes. Voici l’histoire des Pixies.
Charles Michael Kitridge Thompson IV et Joey Santiago se rencontrent
en fac d'économie, à Armherst, en 1984. Les études les barbent. Comme
tout le monde, ils passent leur temps à jouer de la guitare, écouter
des vieux disques et fumer des joints. En seconde année, Charles
Kitridge part à Porto Rico pour un voyage d'échange culturel, s'emmerde
comme un rat mort, et le 7 Mai 1985, après avoir hésité à se casser en
Nouvelle-Zélande voir la comète de Halley, décide de créer un groupe de
rock'n'roll. Il se rend à Boston, retrouve Joey Santiago et le tanne
pour qu'il laisse tomber la fac et monte le groupe avec lui en
prétextant qu'il a manqué l'un des événements astrologiques principaux
du siècle pour ça… Pour avoir la paix, Joey Santiago accepte. Ils
chopent un petit boulot et égrènent les bars pour comprendre ce que
« faire un groupe de rock » veut dire. Ils chronomètrent les concerts
et cherchent un nom. A la Dada, Santiago ouvre un dictionnaire, et,
comme par hasard, c'est sur Pixies qu'il tombe : les lutins que
Coleridge avait célébré un siècle plus tôt dans une ode éblouissante.
Charles Kitridge se fait appeler Black Francis et Joey Santiago et lui
passent une petite annonce dans la presse : « Groupe cherche bassiste. Influences : Hüsker Dû et Peter, Paul & Mary. ».
Une certaine madame Murphy se présente à eux, sans basse, et demande
qu'on lui prête 50 bucks pour que sa sœur jumelle lui en expédie une de
Dayton. Elle parle aussi d'un ingénieur en électricité qu'elle a
rencontré à son mariage et qui a fait des percussions dans la fanfare
de son école. Hop : voilà Kim Deal et David Lovering.
81 chansons plus tard, Black Francis téléphone à Joey Santiago pour
lui annoncer que les Pixies sont morts et qu'il s'appelle maintenant
Frank Black : « Je n'ai pas réalisé tout de suite. Je suis retourné
dans le jardin jouer au Base-Ball avec mon neveu. Je n'ai pris la
nouvelle de plein fouet qu'un peu plus tard. C'était un peu paniquant.
Je devais affronter le futur avec une soudaineté a laquelle je ne
m'attendais plus. Mais le soulagement a été a la hauteur de la douleur
que j'ai d'abord ressentie. L'atmosphère n'était plus très bonne, très
sereine. Il fallait passer a autre chose. » C'est fini.
C'est fini mais c'est comme ça que ça commence. A vrai dire, les
Pixies ne sont jamais partis. Les spectres vifs de Francis (pardon,
Frank !), Joey, Kim et David nous ont bien aidé à ne pas nous
effondrer, nous autres qui avons quitté l'adolescence au moment même où
ils mettaient le feu à leur art, laissant Kurt Cobain, lui,
mettre le feu à son destin. Il y a eu une rémanence discontinue mais
inlassable des Pixies depuis leur mort officielle. Les Pixies sont
morts pour littéralement obséder tout le monde pendant plus de dix
ans : de Nirvana (Cobain voulait d'abord faire un groupe qui ne
jouerait que des reprises des Pixies) à Radiohead, totalement
impensables sans eux. Sans parler de leurs ancêtres, décomposés bien
naturellement par l'énergie inouïe, les fulgurances de flammèches
fulminantes de ces quatre czars de la pop nerveuse : Bono qui leur
demandera de venir jouer avec lui, Robert Smith d'habitude peu
impressionnable, David Lynch qui n'a pas osé utiliser Ana dans Lost Highway
et même et surtout David Bowie qui n'en peut plus jusqu'à aujourd'hui
de se fendre d'hommages à ce « groupe qu'il aimait beaucoup » (on le
comprend)… Le générique de fin de Fight Club (en 2000) de David Fincher, avec le superbe «Where is my mind ?»,
n'a été qu'une manière de signaler leur signature indélébile sur
l'époque que nous avons expérimenté et expérimentons encore. Pour
simplifier, on dira que l'esprit des Pixies aura surfé sur les années 90 comme celui des Beatles aura survolé les années 60, celui de Hendrix défié les années 70 et celui de AC/DC hanté
les années 80. Les Pixies se seront auto-détruits dès 1991, mais leur
souffle de liberté et de joie traversera tous les grands groupes des
dix années suivantes. Et même les plus tristes. Et même les moins bons.
Les Pixies ont eu raison de ne pas prendre les hommages qu'on leur a
rendus au sérieux, et de rejeter toutes les identifications comme les
perches tendues. Ils ont surtout eu raison d'arrêter presque plus vite
qu'ils n'ont commencé. Ils savaient que la seule chose qui comptait,
c'était de tout dire, très vite, et de le balancer comme une fusée pour
les siècles de siècles. Les Pixies ne sont pas sentimentaux. Ils
détestent s'épancher. Ils ne sont pas naïfs : ils sont toujours
beaucoup trop immatures pour ça. Les Pixies construisent des rengaines
de teen-agers qui se prennent pour des petites filles et mangent des tacos comme si c'était de la manne. Black Francis a compris que ses origines religieuses - pentecôtistes - lui avaient probablement détruits la tête et qu'il fallait impérativement en faire quelque chose.
Déjà, une chanson des Pixies est toujours plus courte que celle d'un
autre groupe. Black Francis chante comme s'il venait de passer
vingt-trois heures dans un train bondé. Les solos de guitare sont
microscopiques. Joey Santiago doit aller droit au but, et plus vite que
ça. En trois phrases, Black Francis sort de ses gonds et il faut bien
la régularité métronomique parfaite de Kim Deal et de David Lovering
pour que tout ne s'épuise en un seul hurlement d'extase… Un morceau
doit être net et brutal, sautillant et dévastateur, joyeux (joyeux
surtout) et modeste (très, très modeste - on est jamais trop modeste).
L'étrangeté des paroles donne surtout l'impression automatique et
enfantine (comme les comptines, qui s'établissent par oublis réguliers
du sens et remplacement par ressemblances partielles) de quelqu'un qui
a oublié les paroles de ses propres chansons au moment où ils les écrivait.
Il faut insister sur l'aspect sonore de l'écriture des chansons des
Pixies. « Le son des mots » est la matière de Black Francis. Presque
intraduisibles sensiblement, les chansons des Pixies semblent être les
retranscriptions homophoniques d'une autre chanson disparue.
Black Francis désintègrent ses propres chansons jusqu'à obtenir un
tissu narratif impersonnel, mythique, presque malade.
Aujourd'hui, où selon l'adage très probable, nous sommes tous
américains, c'est-à-dire schizophrènes, nous devons comprendre avec les
Pixies qu'il y a deux manières d'être américains : être des héros ou
des freaks. Certains ont été ou sont les deux à la fois.
D'autres, privés de leur jumeau à la naissance, ont été simultanément
deux schizophrènes (Elvis Presley, Philip K. Dick). A travers les voix
conjuguées de Black Francis (à l'avant) et Kim Deal (à l'arrière), les
Pixies donnent l'impression d'un chanteur double-schizophrène poursuivi
par le fantôme de sa sœur jumelle morte à sa naissance et qui aurait
réussi à se réincarner dans une nouvelle jeune femme. C'est miraculeux
que deux personnes qui semblent s'être si peu aimés (Black, Deal) aient
produit ensemble un double-chant aussi profondément poétique. La voix
de Kim Deal (une des plus belles de toute l'histoire de la musique
populaire, troublante, aigre-douce, heureuse autant qu'un spectre peut
l'être) donne tout à fait l'impression d’être adapté à l'univers du
rock teen-ager. Même seule, en leader des Breeders avec notamment le tube « Cannoball »
ou des Amps ou chantant en duo dans This Mortal Coil, elle continue à
accompagner le frère qui l'a perdue. Elle ne parle jamais de sa propre
initiative mais revient toujours pour répondre à quelqu'un. De même,
Black Francis, seul, ou avec les Catholics, ne se remet pas d'avoir
perdu la voix qui était revenue d'entre les morts pour lui répondre.
Comme Orphée ou un personnage d'histoire extraordinaire d'Edgar Allan
Poe, il l'a deux fois perdue (et c'est ce qui fait la si grande
tristesse, l'impression d'esseulement insupportable des innombrables
chansons - mêmes joyeuses - de Black Francis devenu Frank Black après les Pixies).
Si ils évoquent autant de figures légendaires simultanées, croisées
et brouillées, c'est que les Pixies n'ont à proprement parler aucune histoire
et défient toute interprétation possible - ou plus, encouragent à la
manière des chansons des Beatles et des films de David Lynch (les deux
pilonnes entre lesquels leur avion oscille - comme l'indique
suffisamment leur effrayant Live at the B.B.C., pris en sandwich entre Wild Honey Pie et In Heaven)
une interprétation infinie, singulière au possible, sans assignation
possible. « Il y a tout de même eu les Beatles, à la base »… On connaît
le parti pris anti-intellectualiste de Black Francis. Il recoupe
cependant une idée complexe : la pop culture serait, non analytique et
adéquate dans sa relation à la culture, mais synthétique et mutante.
Black Francis s'avoue influencé par beaucoup de choses : Iggy Pop,
Samuel Beckett, Jacques Tati, Captain Beefheart, Rainer Werner
Fassbinder, les Ramones… Mais cette influence, à la différence dont les
influences sont ingérées par un groupe auto-réflexif comme Sonic Youth,
ne donne pas lieu à une analyse de ces référents, mais par une
rencontre impulsive, une contamination burlesque et sérieuse. C'est une
rencontre qui s'établit très rapidement avec des éléments culturels,
mais qui ne donne pas lieu à une interprétation à volonté d'univocité.
En gros, ils ingèrent. Les Pixies sont au rock ce que Charlie
Parker est au jazz : aucune question, aucune réponse, juste une trombe
dévastatrice, une douche froide et électrique, sur chaque sujet
important : les extra-terrestres, les femmes fatales, les animaux, etc.
Qui s'intéresse vraiment aux interviews des musiciens pop ? Il
y a des choses merveilleuses dans les interviews des Pixies, dans
n'importe quelle interview de n'importe quel ex-Pixies. Mais c'est
souvent si merveilleux qu'on oublie que c'est aussi très intelligent :
quand Black Francis dit par exemple qu'il est impossible de
sortir un mauvais disque si l'on aime vraiment la musique (ce qui, par
extension, en dit long sur l'amour de la musique de beaucoup de gens).
Que le problème de la drogue dans le rock, c'est surtout d'arriver à en
tirer un matériel de chanson qui ne soit pas un tissu de clichés.
Enfin, surtout, cette remarque parfaite : « Je crois que si des gens
disent de nous que nous sommes importants c'est simplement parce que
nous ne sommes pas phénoménalement barbants ».
Les Pixies avaient des corps très improbables : un obèse névrotique
et comique qui hurle plus juste que quiconque, un guitariste chicano ringard et sobre, un batteur bien straight
et une bassiste-grande-fillette, alcoolique et bagarreuse, avec un
timbre à faire fondre les vautours comme du caramel au chocolat. Ils
étaient tous outrageusement mal habillés. Et en cinq ans (1987-1992),
c'est-à-dire quatre albums et une poignée d'inédits, ce quatuor intense
aura simultanément donné naissance aux années 90 dans une grande vague
mutilatrice et donné le fin mot de cette affaire en balançant leur monkey au plus profond du ciel… Le ridicule de l'esprit collège,
la solitude peuplée d'extraterrestres et d'animaux, la schizophrénie
comme couverture sociale, le psychédélisme théologico-politique, et le
désert surtout, le grand désert qui s'étend sans cesse, tout ça c'est
dans leurs chansons, leurs 81 chansons. Les Pixies sont des décharges
ininterrompues d'enfance, violente et électrique. Un art de l'enfance :
voilà ce que devrait toujours être la pop music. Car l'enfance n'est
pas donnée à tout le monde : il faut, à chaque naissance, lui
réinventer un corps adéquat. Les artistes inventent une enfance à leur
public. Une nouvelle enfance à ajouter à sa collection, qui ne sera
jamais assez grande, d'âges éprouvés simultanément, à tout âge, dans
des corps aussi nombreux que possibles. Il est temps que les comptines
saturées et les rengaines hurlées à la lune des Pixies reviennent dans
nos oreilles plus violemment et plus joyeusement encore. Les Pixies ne
sont pas les années 90 : ils sont beaucoup mieux. Puisqu'ils sont les
Pixies.
Discographie :
Surfer Rosa / Come on Pilgrim (1988)
Doolittle (1989)
Bossanova (1990)
Trompe Le Monde (1991)
Pixies at the BBC (1998)
Complete B-Sides (2001)
Il ne faut jamais dire jamais : la route du punk-rock 90's est pavée
des meilleures reformations. Franck Black s'était pourtant promis de ne
plus faire tourner le lead band des années 90 et avait tenu mordicus
durant onze ans. Après une pléthore d'albums solo, les Pixies
reprennent du service au printemps 2004 : Franck Black et Kim Deal
l'ont annoncé d'un commun accord, en se gardant de cacher la motivation
essentielle de ce come back : le besoin de cash, après la période de
vaches maigres de leurs derniers projets solo. Outre la sortie d'un DVD
et d'un album de maquettes réalisées avant la naissance des Pixies,
plusieurs dates live ont eu lieu en 2004 et 2005.
Mon TOP 10 des PIXIES (très dur à sélectionner) :
Caribou
Debaser
Dig for fire
Gigantic
Here comes your man
Monkey gone to heven
Planete of sound
Tame
U-Mass
Where is my mind ?
ARNAUD MOUILLARD ; hern276@yahoo.fr
http://www.boosterblog.com/hern